Le Domaine d’Isegorias » Les trois fées voleuses : le roi des Korrigans - Contes et légendes de Bretagne, Féerique

Les trois fées voleuses

Henry Carnoy, Contes français, 1885

Il y a bien longtemps vivaient dans une forêt trois fées voleuses. Elles avaient tout à leur disposition, mais ce qui n’était pas volé ne leur plaisait pas.

Toute la nuit elles ne faisaient que songer aux larcins qu’elles commettraient le lendemain, et le jour elles couraient d’un village à l’autre, pénétrant dans les maisons et faisant main basse sur le beurre, les confitures, les habits ou les bijoux des habitants. Puis elles portaient les objets volés dans leur caverne de la forêt et se mettaient à manger, à boire et à danser jusqu’à minuit.
Un matin les trois fées partirent pour aller voler les lutins de la vallée voisine ; elles prirent par un ravin et se trompèrent de chemin, et au lieu d’aller demander l’hospitalité chez les lutins pour les duper ensuite, les trois soeurs allèrent frapper à la porte d’un château qui appartenait à des revenants. Ces derniers leur ouvrirent et leur offrirent à déjeuner. Mais tout en mangeant l’un d’eux vit la plus vieille des fées enlever un des couverts en argent et le mettre dans la poche de son tablier. Il prévint ses compagnons et tous ensemble se ruèrent sur les fées voleuses ; la plus âgée fut tuée et les deux autres purent s’échapper.
Le lendemain, toutes furieuses contre les lutins, les deux soeurs reprirent le chemin de la vallée. Et là, un grand daim était à brouter l’herbe de la prairie. C’était justement l’un des lutins, qu’autrefois les méchantes fées avaient métamorphosé en daim. Les fées ne le reconnurent pas.
« Peux-tu nous montrer le château des lutins ? demandèrent-elles.
- Le château des lutins ? Mais vous n’êtes pas dans le chemin. Il vous faut prendre à droite, dans un petit quart d’heure vous serez arrivées devant le château. »
Dès que les fées eurent disparu au tournant du sentier, le daim courut avertir ses frères et deux des plus forts allèrent en hâte se cacher dans le château abandonné que l’animal avait indiqué aux fées voleuses. Quand celles-ci frappèrent à la porte, les lutins les reçurent à grands coups de hâche et tuèrent l’aînée. L’autre dut encore s’enfuir, mais elle jura de se venger.
Les lutins creusèrent un grand trou dans un autre sentier et recouvrirent cette fosse de branchages et de gazon, après y avoir caché deux gros ours.
Le lendemain, la fée rencontra encore le daim de la veille.
« Peux-tu m’indiquer le château des lutins ? Surtout ne te trompe plus comme hier.
- Je me suis donc trompé ? N’avez-vous point pris sur votre gauche ?
- Non, tu m’avais dit de prendre le sentier à droite.
- C’est que je n’étais pas tourné du même sens que vous, et ma droite était votre gauche.
- Alors, le premier sentier à ma gauche ?
- C’est cela même. »
La fée continua son chemin, prit le sentier à sa gauche et tomba dans la fosse. Les deux ours se précipitèrent sur elle pour la dévorer, mais elle prit une de ses épingles à cheveux et creva les yeux des deux animaux féroces. Elle eut le temps de prononcer quelques paroles magiques et de sortir de la fosse. Elle courut tout d’une traite vers le château des lutins. Elle n’avait plus qu’un petit ruisseau à traverser. Sans s’apercevoir qu’un précipice était à côté, elle fit un saut prodigieux et se brisa sur les rochers au fond du précipice.
A l’instant le daim reprit sa forme, et pendant quarante jours les lutins de la vallée se livrèrent à des repas, à des festins et à des danses sans fin pour célébrer la mort de leurs mortelles ennemies, les trois fées voleuses.