Le Domaine d’Isegorias » La ville d’Ys : le roi des Korrigans - Contes et légendes de Bretagne, Féerique

La ville d’Ys

A Lanrivoaré, en Léon, 7727 saints, tués par le prince Meriadec, homme de foi et de guerre, sont couchés a jamais dans le cimetière des Saints !
Et le temps passe le long de la mĂ©moire…
Plein de gloire et de victoire, Meriadec, le grand prince, est passĂ© de vie Ă  trĂ©pas…
Paix à ces âmes angoissées !
Gradlon, un de ses fidèles barons, lui succéda.

Malgven, Reine du Nord
Le Roi Gradlon rĂ©gnait sur la Cornouaille. Il possĂ©dait une puissante flotte qu’il aimait opposer aux navires de ses ennemis. Excellent marin et stratège, il l’emportant souvent. Le pillagr des navires ennemis remplissait ses coffres d’or et seon palais de trophĂ©s.
Un jour, une de ces campagnes le mena dans de lointains pays oĂą il faisait très froid. L’hiver eut raison d’un grand nombre de ses marins. LassĂ©s de se battre dans ces pays froids, ils se mutinèrent lors de l’assaut d’un château-fort. Ils abandonnèrent lĂ  Gradlon, regagnèrent leurs navires et mirent le cap vers la Bretagne, pour y retrouver femmes et enfants et y vivre au calme. Après l’exaltation des combats et des victoires, Le Roi Gradlon se retrouva seul dans la nuit froide. Vaincu par ses propres hommes, il connaissait maintenant une profonde tristesse.

Il erra longuement dans la steppe dĂ©solĂ©e jusqu’Ă  ce qu’il aperçu une femme aux longs cheveux roux, blanche comme le clair de lune et vĂŞtue d’une cuirasse ruisselant de la lumière de l’astre.

C’Ă©tait Malgven, la Reine du Nord, souveraine borĂ©ale rĂ©gnant sans partage sur ces pays glacĂ©s. Elle dit au Roi Gradlon: “Ta renomĂ©e est venu jusqu’Ă  moi: je connais ton courage et ton adresse au combat. Mon vieux mari est, lui, incapable de tels exploits. Nous allons le tuer puis, tu m’emmèneras dans ton royaume de Cornouaille.” Ils tuèrent le vieux roi du Nord, remplirent un coffre d’or et, enfourchèrent Morvarc’h (”cheval de mer” en Breton), le cheval magique de Malgven. Noir comme la nuit, il soufflait le feu par ses naseaux. Le cheval galopa sur la crĂŞte des vagues et regagnèrent la Cornouaille tandis qu’une violente tempĂŞte dispersait la flotte rebelle.

La naissance de Dahut
Malgven donna naissance Ă  une fille qu’ils appelèrent Dahut. Helas, la reine mourut des suites de l’accouchement. Le roi Ă©tait si triste qu’il ne sortait plus de son château. Dahut grandit, devint très belle, comme sa mère Malgven. Le Roi Gradlon aimait jouer avec les boucles de ses longs cheveux blonds. Dahut aimait beaucoup la mer. Un jour elle demanda Ă  son père qu’il lui construise une ville, une ville au bord de la mer. Ys la majestueuse Ă©tait la plus puissante et la plus belle au monde. On y trouvait des multitudes de marchands, des rues grandioses, des palais, et d’immenses cathĂ©drales. Ys avait mĂŞme dominĂ© la mer grâce Ă  d’imposantes digues. On y menait une vie de dĂ©bauche, mais le roi restait le seul homme vertueux, ignorant tout cela. Dahut (aussi appelĂ©e Ahès), sa fille, Ă©tait la plus belle femme du pays, Ă©tait la plus dĂ©bauchĂ©e de ses sujets: elle faisait orgie sur orgie, et assassinait ses nombreux amants.
Une nuit, le roi fut rĂ©veillĂ© par Saint-GuĂ©nolĂ©, qui lui dit de fuire la ville. InterloquĂ©, le roi l’interrogea: Ys est parfaitement dĂ©fendue, et aucun danger ne peut la menacer. Saint-GuĂ©nolĂ© lui demanda s’il a encore autour de son cou la clef ouvrant le digues. Saint-GuĂ©nolĂ© lui rĂ©vèla que sa fille a dĂ©cidĂ© de noyer la ville pour prendre le pouvoir Ă©pouser celui qu’elle aime.

Gradlon, accompagnĂ© de Saint-GuĂ©nolĂ© fuit la ville alors que la mer dĂ©ferle sur l’orgueilleuse citĂ©. Sur le point d’Ă©chapper aux flot dĂ©chainĂ©s, il vit sa fille et vint Ă  son secours. Mais Saint-GuĂ©nolĂ© l’averti que Dieu, excĂ©dĂ© par tant de dĂ©bauche, a dĂ©cidĂ© d’en finir avec les habitants de Ker-Ys, et que Gradlon n’aura la vie sauve qu’en sacrifiant sa fille. Gradlon rejetta sa fille Ă  la mer, et echappa Ă  la mer deferlante.

La ville construite contre la mer
Gradlon adorait sa fille et accepta. Plusieurs milliers d’ouvriers furent mis au travail et construisirent une ville qui semblait sortir de la mer. Pour la dĂ©fendre des hautes vagues et des tempĂŞtes, il fut construit une très haute digue encerclant la ville, avec une unique porte de bronze qui y donnait accès. Le Roi Gradlon seul en possĂ©dait la clĂ©. On l’appela ville d’Ys.
Les fiançailles de Dahut avec l’OcĂ©an
Les pĂŞcheurs, chaque soir, voyaient sur la plage une femme, peignant ses longs cheveux blonds. C’Ă©tait la princesse Dahut qui chantait :

“OcĂ©an, bel OcĂ©an bleu, roule moi sur le sable, je suis ta fiancĂ©e,
Océan, bel Océan bleu.
Je suis nĂ©e sur la mer, dans les vagues et l’Ă©cume,
quand j’Ă©tais enfant je jouais avec toi.
Océan, bel Océan bleu, roule moi sur le sable, je suis ta fiancée,
Océan, bel Océan bleu.
Océan, toi qui retourne bateaux et hommes,
Donne moi les navires naufragés et leurs richesses, or et trésors.
Fais venir dans ma ville de beaux marins que je pourrai regarder.
Ne sois pas jaloux, je te les rendrai l’un après l’autre.
Océan, bel Océan bleu, roule moi sur le sable, je suis ta fiancée,
OcĂ©an, bel OcĂ©an bleu.”

La ville d’Ys devint alors un endroit ou l’on s’amusait, la ville s’emplit de marins. Chaque jour voyait de nouveaux festins, des jeux, des danses.

Le masque magique
Chaque soir, la princesse Dahut prenait un nouveau jeune homme. Le soir, elle lui mettait un masque noir sur le visage, il restait avec elle jusqu’au matin. Dès que le chant de l’alouette se faisait entendre, le masque se resserrait sur la gorge de son fiancĂ© de la nuit et l’Ă©touffait. Un cavalier prenait alors le corps sur son cheval pour aller le jeter dans l’OcĂ©an, au delĂ  de la baie de TrĂ©passĂ©s. Ainsi, tous les fiancĂ©s de Dahut mouraient au matin et Ă©taient jetĂ©s a la mer.
Un jour de printemps, un chevalier Ă©trange arriva dans la ville d’Ys. Il Ă©tait habillĂ© de rouge, ses mains Ă©taient longues et fines, ses ongles pointus et recourbĂ©s. Dahut lui sourit, le chevalier ne la regarda pas. Un soir cependant, il accepta de venir auprès d’elle. Il passa longuement ses longues mains aux ongles pointus dans les beaux cheveux blonds de la princesse. Soudain, un grand bruit s’Ă©leva du cotĂ© de la mer et un terrible coup de vent heurta les murailles de la ville d’Ys. “Que la tempĂŞte rugisse, les portes de la ville sont solide et c’est le Roi Gradlon, mon père, qui en possède l’unique clĂ©, attachĂ©e a son cou”, dit Dahut. “Ton père le roi dort, tu peux maintenant t’emparer facilement de cette clĂ©”, rĂ©pliqua le chevalier.

La submersion de la ville
La princesse Dahut entra dans la chambre de son père, s’approcha doucement de lui et prit la clĂ©, attachĂ©e a une chaĂ®ne autour de son cou. AussitĂ´t, l’Ă©tranger reprit sa vĂ©ritable apparence, celle du diable, et ouvrit les portes de la digue. Une Ă©norme vague, plus haute qu’une montagne, s’Ă©croula sur Dahut. Son père se rĂ©veilla et elle lui dit: “Père, vite, prenons le cheval Morvarc’h, la mer a renversĂ© les digues”. Le roi prit sa fille sur le cheval, la mer Ă©tait dĂ©chainĂ©e. Le cheval se cabrait sur l’eau qui montait a gros bouillons. Dahut se serrait contre son père et lui dit: “Sauvez-moi, mon père!” Il y eut alors un grand Ă©clair dans la tempĂŞte et on entendit une voix qui allait de rocher en rocher et disait “Gradlon, lâche la princesse”.
Saint Guenole, le missionnaire de Dieu
Une forme pale comme un cadavre apparut, enveloppĂ©e dans un grand vĂŞtement brun. C’Ă©tait Saint Guenole, qui dit a la princesse: “Malheur a toi, tu as voulu voler la clĂ© de la ville d’Ys!” Dahut repondait: “Sauvez-moi, emportez-moi au bout du monde!” Mais le cheval Morvarc’h ne bougeait plus et les eaux en furie gagnaient sur eux. Saint Guenole rĂ©pĂ©ta son ordre a Gradlon “Lâche la princesse!”, les vagues Ă©normes Ă©taient Ă  leurs pieds. Dahut glissa Ă  terre et le Roi Gradlon, furieux, poussa sa fille dans la mer. Les vagues se refermèrent sur la princesse. La mer engloutit alors la ville d’Ys, dont tous les habitants pĂ©rirent noyĂ©s. A l’emplacement d’Ys se trouve dĂ©sormais la baie de Douarnenez.
Le cheval du roi repartit, bondissant sur les plages puis au travers des près et des collines, galopa toute la nuit. Gradlon arriva enfin entre sept collines, lĂ  ou deux rivières se rejoignent. Il y batit sa nouvelle capitale, Kemper (confluent en Breton). Il y vĂ©cut le restant de ses jours. A sa mort, on sculpta sa statue dans du granit. Cette statue est aujourd’hui Ă©levĂ©e entre les deux tours de la cathĂ©drale Saint Corentin a Quimper. Elle reprĂ©sente le Roi Gradlon, Ă  cheval, regardant en direction de la citĂ© disparue.

Après sa mort, Dahut devint une sirène. Elle apparait aux pĂŞcheurs les soirs de lune, peignant sa longue chevelure d’or. Par temps très calme on peut entendre sonner les cloches de la cite disparue.