Le Domaine d’Isegorias » Le Royaume : le roi des Korrigans - Contes et légendes de Bretagne, Féerique

Le Royaume

De l’origine du Petit Peuple : des Alfs, des Nains, des Elfes et de leur existence.

Extrait de La Grande Encyclopédie des lutins

« Au nombre des dieux, ils n’admettent que ceux qu’ils voient. »
(CĂ©sar, La Guerre des Gaules, t.VI, 21, 2)

Le Royaume

Genèse

Là-bas, au Nord, avant le commencement du monde était l’Abîme béant : Ginungagap. Au nord du Nord était Nilfheim, le monde de la glace et du brouillard. Au sud, Muspelheim, le monde du feu et des brasiers. Ils se sont rencontrés par-dessus le néant et une explosion de neige et de flammes, de laves et de torrents. De la fusion des éléments contraires, à la soudure du choc s’est scellée l’Ultima Thulé.
Au milieu des éclatements, des icebergs incendiés, des fumerolles pétrifiées, des tornades de vapeur, un grand frisson de vie jaillit. D’abord un bouillonnement, un rugissement, une forme… une ébauche qui se met à grandir sous les nuées traversées d’éclairs. C’est ainsi que ces antonymes cosmiques, accidentellement unis par un rut absurde, naissent le Géant Ymir, Aurgelmir le borné, Hrimthurse le repoussant Thurse du givre qui, lui, vomit son fils Thrudgelmir de ses tripes d’argiles.
Ce n’est pas tout. Se décollant du limon excessivement prolifère, une grosse dondon de vache au gracieux nom d’Audumbla vient se présenter à Ymir affamé une mamelle joufflue entétinée de quatre fleuves de lait.
Drôle d’histoire que celle de cette nounou ruminante, qui n’ayant pas le moindre brin d’herbe à mâchouiller se met à lécher le désert de congères, paissant le caillou, suçotant le grêlon, polissant bucoliquement la banquise pour, au bout de trois jours de lapement, dégager de la cailasse… un dieu ! Le premier dieu de la création révélé par la papille râpeuse d’une bovine ingénue !
C’est Buri, ce dieu, et il va engendrer Bor qui épouse Best, la fille de Bolthorn… Elle engendrera Odin,Vili et Vé.
Mais entre-temps les forces créatrices ne s’en sont pas tenu au seul Thrudgelmir, et Bergelmir est né. Cela fait déjà beaucoup trop de monde sur ce petit lopin sacré et le plus grand va trinquer ! Les fils de Best vont assassiner Ymir, dont les plaies sanglantes inonderont et noieront les vieux Thurses des glaces, trop chenus pour nager. Seul Bergelmir en réchappera. Il fondera une race géante marquée par la haine et la vengeance.
Enfin, que faire du cadavre encombrant sinon le jeter au fond de la plus sûre des cachettes : le gouffre de l’Oubli ( celui de l’origine, Ginungagap ) où jamais personne n’ira fureter. Mieux ! Afin d’enfouir définitivement le crime dans la terre qui n’existe pas encore, le trio infernal va de la dépouille confectionner la planète ! Ni vu ni connu, le dépeçage va bon train…
Les bribes blanchâtres du cerveau s’épandent en nuages aux quatre coins du précipice. Ici et là les circonvolutions ouateuses, les franges déchirées des lobes planent désormais au gré des vents : cumulus, stratus, nimbus et pets de lapin dans l’atmosphère ! Les dieux fossoyeurs redoublent d’ingéniosité. La chair est aussitôt réduite en compost, boule de terre dont l’épiderme disparaît sous un camouflage fort bien agencé. La chevelure, les poils superflus, la barbe deviennent forêts, prairies, landes, bosquets. Les osselets, les dents sont répartis sous forme de coulées et d’éboulis rocheux tout le long de l’épine dorsale et du squelette. Le sang tumultueux est canalise en fleuves et rivières, l’hémorragie prend place entre les côtes, se partage les reliefs, les plages duveteuses des cuisses.
On n’est jamais trop prudent ! L’épaisse taroupe sourcilleuse d’Ymir servira de forteresse contre l’invasion éventuelle des Géants revanchards. Une verrue sera le donjon de cet imprenable bastion : Midgard, l’enceinte du milieu ! Et, pour parachever l’ouvrage, à la fois bouquet final et touche artistique, cueillant quelques étincelles aux incandescences de Muspelheim, ils accrocheront au sommet les astres et les étoiles. D’Ymir il ne reste plus trace.
Ils se félicitent, se congratulent, sablent l’ambroisie sous les guirlandes d’Asgard, leur citadelle céleste… Mais, hélas, toujours le cadavre remonte à la surface, toujours se découvre le placard au squelette. Bientôt un grouillement de larves et d’asticots éclot des entrailles pourissantes du Thurse. Grignotant la gliase putride, un blême essaim aveugle se fraie à tâtons un chemein vers le jour.
Odin avise les tortillons noirâtres des rejets qui indiquent leur approche. Que faire de cette fermentation d’Ymir remontant à la lumière témoigner du crime ?
« Se les concilier ! Les traiter en alliés ! » (L’Envers d’Alfaheimr, Petrus Gardsvor) … Aussi, donner un visage au groin fouilleur des vers, une voix à ce couinement inarticulé, une forme à ces boyaux rampeurs, une intelligence à l’instinct dévorant, un regard… et pourquoi pas des pouvoirs ? Une force exceptionnelle ?…
Et Odin de leur dispenser une multitude de dons divins et magiques.
C’est ainsi que, approximativement, naissent les Nains dans les Eddas, les récits mythologiques norrois.

L’Âge d’Or des Nains et la répartition des espèces

Un nain

Une partie d’entre « Eux », que la lente gestation a longtemps maintenue à proximité de Muspelheim – le côté lumineux du monde- , sont fins, plus harmonieux. Le contact du feu les a rendus éblouissants ; et sur chaque épaule se recroquevillent des fuseaux d’ailes prêts à se déplisser.
Vi va leur permettre de s’échapper comme autant de papillons prenant leur envol au printemps. Ce seront les Alfs blancs (Lioesalfar, Elfen, Elben, Alven), les Génies aériens de la lumière qui peupleront Alfaheimr et dont la descendance fondera « le peuple elfique », les Holdes, Huldres, Sidhe, Tylwyth teg, Sylphes…
A Svartalfaheimr, royaume des grottes, des gouffres et des entrailles terrestres s’étendront les Alfs noirs, les Svartalfar, les Nains. Ils régneront sur les mines, les métaux, les trésors, les forces et sciences obscures. Ils dompteront le feu et seront maîtres forgerons. Pour Roland ils tremperont Durandal, pour Odin Gungir, le glaive de Doolen de Mayence, l’épée maudite du roi Heidrek… et le marteau foudroyant de Thor.
Ce sont les quatre plus forts qui soutiendront les quatre coins de la voûte céleste formée par la boîte crânienne d’Ymir : Austri à l’est, Nordri au nord, Vestri à l’ouest et Sudri au sud.
Au cœur de la planète, ils croissent et creusent, explorent d’immenses cavernes plantées de stalactites où chantent et écument fleuves et torrents ; s’enfoncent, fouillent, piochent, extraient des replis du conglomérat diamants, blocs d’émeraudes, pierres iridescentes qu’ils taillent et façonnent, des veines d’or qu’ils fondent et travaillent dans le four des volcans, martelant, ciselant vaisselle, bijoux, armes, couronnes, cottes de maille, le bateau de Njörd, le verrat volant et lampionnant de Freyr, les horlogeries de Weedysheim d’Antipodes, et « les Grilles de l’Enfer » Thrymgjölf. Et de forer toujours plus profond. D’industrieux piquent la houille. De solitaires s’isolent, en des antres pour méditer et s’adonner à des expériences .
Une tribu, un clan séduit par les lueurs d’une floe minérale s’arrête et s’installe là : Niebelungen, Koboldes, Stillevolk… D’est en ouest, du nord au sud : Bergeister,Kloks’Tomtes, Velus s’incrustent aux montagnes. Aux falaises,aux grottes, aux trous : Nutons, Sôté. Sous les roches, les pierres levées : Korrigans, Kourrils. Dans l’obscurité des forêts : Ohdows, Trolls… De moins cavernicoles s’aventurent aux « frontières du dehors » : les Gnomes. A fleur de terre, de tertres, de collines : Bergfolk, Sangres. Les plus téméraires dans les haies, sous les racines, le simple abri des herbes ; là, au jour, ils retrouvent le vol gracieux de leur frères elfiques… et les plus inspirés s’accouplent.
Quelques siècles plus tard d’autres générations fréquenteront les mines, les cours des châteaux, les demeures des hommes, les laboratoires sorciers, puis les granges, les caves, les greniers… Pour l’instant c’est l’Âge d’Or, le déclin n’est encore qu’une image floue dans les songes prémonitoires de Gwynd’hylwnn le Visionnaire.