Le Domaine d’Isegorias » La Forteresse du Val Sans Retour : le roi des Korrigans - Contes et légendes de Bretagne, Féerique

La Forteresse du Val Sans Retour

Texte issu de Châteaux Fantastiques de Bretagne, rassemblés par Olivier Eudes, édition Terre de Brume

Non loin de Tréhorenteuc, existait autrefois un château enchanté dans lequel on pouvait entrer mais non sortir si l’on avait commis à l’égard de sa dame une quelconque infidélité d’action ou seulement de pensée. C’est Morgane qui l’avait édifié. Morgane était la soeur du roi Arthur. Plus qu’aucune autre fée, elle connaissait le secret des charmes et des enchantements. (…)Réfugiée dans la forêt pour y vivre avec son amant Guyomard, elle fréquentait si peu les humains qu’on ne la croyait plus une femme mais une fée. (…) Un jour, elle s’aperçoit que Guyomard lui échappe. Il lui préfère une demoiselle de grande beauté qu’il retrouve au fond d’un val bien fait pour dissimuler les amours interdites.
Morgane est avertie. Elle accourt. Et surprend les amants dans le moment où ils se donnent “les plus tendres témoignages d’amour”. Peu s’en faut qu’elle n’en meure de douleur. Puis, revenant à elle, elle jette sur le val un enchantement dont la vertu consiste à retenir à jamais tout chevalier errant qui aurait fait à son amie la moindre infidélité.
Guyomard est le premier pris.
Seul un chaste et franc chevalier peut rompre le maléfice. (…)
Suivons Galeschin qui vient de S’y aventurer.Il arrive devant une porte trop basse et trop étroite pour un cavalier. Il descend donc, laisse son cheval, jette son glaive, pose son écu au bras gauche, brandit son épée, et, la tête baissée, s’engage dans une allée longue, étroite et assez obscure.

À l’extrémité de l’allée, il voit deux énormes dragons jeter par la gueule de grands flocons de flamme. Involontairement Galeschin fait un mouvement en arrière. Mais la honte le retient de reculer. Et, au moment où les dragons s’élancent sur lui, il avance.
Ils jettent leurs griffes sur l’écu, déchirent les mailles du haubert, pénètrent dans la chair jusqu’au sang. Le duc ne recule pas : il donne de son épée dans tous les sens. Et passe outre. Une rivière bruyante et rapide se présente alors à lui.Une planche longue étroite, instable, l’enjambe. À peine Galeschin y a-t-il posé le pied que deux chevaliers armés apparaissent sur l’autre rive pour lui défendre le passage. S’il chancelle, il se noie.
Galeschin ne recule pas. Le premier chevalier lève son glaive, le second frappe le heaume. Galeschin glisse dans l’eau. Il se croit perdu. il sent les angoisses de la mort. Mais, comme il était déjà pâmé, on le tire de l’eau avec des crocs de fer. Dans le pré, il ouvre les yeux. Un chevalier le somme de se rendre. Se dressant à genoux, Galeschin ne répond pas. D’un coup d’épée on le fait retomber.(…) Quatre sergents alors le prennent, le désarment et l’emportent dans un jardin où se trouvent d’autres chevaliers. (…) Le duc revient de pâmoison. Chacun le réconforte et le console du mieux qu’il peut. Galeschin apprend alors à ceux qui l’entourent qu’il est le duc de Clarence, fils du roi Tradelinam de Norgalles et compagnon de la Table Ronde. Il y a là Aiglin des Vaux, Gaheris de Caraheu, Kae dit le Beau. Ils lui apprennent comment ils se trouvent retenus dans le Val, comment le plus preux ne doit pas espérer d’en sortir, pour peu qu’il ait faussé de rien ce qu’il devait à son amie.(…) Où trouver le chevalier qui, dans le cours de ses amours, aura constamment éloigné toute oeuvre et tout désir d’inconstance? Est-il un seul fils de mère pur de toute infidélité à l’égard de son amie de coeur?

Au moment même où le duc se lamente ainsi, le plus hardi et le plus franc de tous les chevaliers arrive avec messire Yvain devant l’enceinte vaporeuse. Il laisse Yvain tenter l’épreuve. Yvain échoue.
-Par Dieu, dit Lancelot, il faut savoir aujourd’hui si les deux cents chevaliers prisonniers de Morgane retourneront jamais à la cour d’Arthur.
Et Lancelot de pénétrer à son tour dans le val. Il arrache la langue d’un dragon, étrangle l’autre. Défait les gardiens du pont. Traverse une muraille de flamrnes. Trois chevaliers porteurs de grandes haches lui interdisent un escalier. Il défait les deux premiers, le troisièrne arrache l’épée des mains s’enfuit et va se cacher dans un pavillon sous le lit où dort Morgane. Lancelot, qui le serre de près, prend à deux mains sommier et couvertures, et les renverse “ce dessus dessous”. Morgane pousse un grand cri que Lancelot reconnaît pour être celui d’une femme. il en a grand regret, mais continue la poursuite du chevalier, le joint quelques salles plusloin, le saisit d’une main et, du tranchant de son épée, lui sépare la tête des épaules, Cela fait, il retourne au pavillonet s’agenouille devant Morgane encore tout éplorée -Dame, dit-il, je vous offre la tête de ce félon chevalier, pour l’amende de l’outrage que je vous ai fait sans le savoir.
- Ah! s’écrie Morgane, jamais amende n’effacera pareille injure! (…)
:Un valet accourt. Il dit à Morgane
- Dame, apprenez de merveilleuses nouvelles. La couturne établie par vous est abattue; les sorties sont libres, plus de cent chevaliers les ont déjà reconnu.
En même temps paraît le chevalier Guyomard à qui le Val sans Retour avait été destiné.
-Bien soit venue, s’ écrie-t’il, la fleur de tous les preux!
- Dites plutôt, mal soit-elle venue! répond Morgane. Maudite soit l’heure où tant de hardiesse lui fut donnée. Maudit soit-il pour être venu dans ce val, et honnie soit la dame qu,il a loyalement aimée! Par la vertu de Lancelot la forteresse du val avait disparu. Grâces lui en soient rendues! Moi qui n’ai peut-être pas toujours été un chevalier sans reproche, je me suis promené dans le Val et j’en suis ressorti.