Le Domaine d’Isegorias » Saint Corentin : le roi des Korrigans - Contes et légendes de Bretagne, Féerique

Saint Corentin

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Le nom de saint Corentin apparaît pour la première fois dans un passage de la vie de saint Guénolé composé vers l’an 880 par Wrdisten, moine de Landevennec. Des litanies anglaises attestent son culte au Xe siècle aussi bien en Bretagne insulaire qu’en Bretagne armoricaine. Wrdisten associe dans son éloge saint Corentin au légendaire roi Gradlon et à saint Guénolé comme « un des trois rayons de la lumière du Christ qui brilla sur la Cornouaille ».

Saint Corentin
Selon la tradition, établie d’après deux textes des XIe et XIIIe siècles, Corentin naquit en Armorique de parents bretons. Albert le Grand, hagiographe du XVIIe siècle place sa mort à 530, sans que l’histoire puisse confirmer cette datation : il semble que Corentin ait commencé son ministère plus tardivement. Très tôt, le futur évêque rechercha la solitude en se retirant dans une sombre forêt sur la paroisse de saint Modiern (Plomodiern). Sa vie fut longtemps celle d’un ascète de type celtique, tel qu’il en existait beaucoup dans les lieux reculés d’Irlande, de Bretagne et d’Armorique. La légende raconte que Corentin, qui se nourrissait surtout de racines et de baies fut gratifié d’un saumon miraculeux dans une fontaine jaillie à sa prière. Ce poisson demeurait toujours vivant et intact lorsque le saint en prélevait une tranche sans en abîmer l’arrête. Il se multipliait même lorsque Corentin recevait des visites, car sa réputation de grand ascète aurait fait venir à lui les saints Melaine de Rennes et Patern de Vannes ! C’est ainsi que le découvrit un jour le roi Gradlon, égaré au cours d’une chasse. Frappé de l’austérité de l’ermite, Gradlon s’empressa de lui faire don des terres sur lesquelles il habitait. Corentin put alors y bâtir un monastère. Sous la pression de ses moines, du peuple et de Gradlon lui-même, Corentin dut accepter le siège épiscopal de Cornouaille et, toujours selon la tradition, il se rendit à Tours pour y être sacré par saint Martin lui-même. Il aurait assisté au Concile d’Angers en l’an 458, où les Actes le nomment Charlaton… Des éléments qui ne peuvent concorder entre eux. Il établit sa résidence d’évêque-abbé au palais de Gradlon, au confluent de l’Aodeb et du Froud, là où s’élève encore la cathédrale qui porte son nom. Il conféra à son tour la dignité abbatiale à Tudy et Guénolé. On ignore la durée exacte de l’épiscopat de Corentin, on sait seulement qu’il fut enterré dans la cathédrale où les miracles se multiplièrent sur son tombeau.

Ses reliques furent transportées en 878 et confiées à l’évêque d’Alet, qui se réfugia en France avec les corps des saints. Une part des reliques aurait ainsi été remise à Hugues Capet en 965, et déposées dans l’église saint-Bathélémy, devenu église Saint-Magloire. Elles furent ensuite disséminées entre divers localités et Montreuil-sur-Mer, où l’abbaye Sainte Mauve prétendait en posséder une grande partie. Il y en avait aussi à Marmoutier. Un monastère de 120 religieuses bénédictines avait été fondé par le roi Philippe Auguste à une dizaine de km de Mantes sous le patronage de saint Corentin. En 1623, Quimper retrouva une partie des reliques de son saint patron, obtenues de l’abbaye de Marmoutier. A la Révolution, elles furent en partie sauvées du pillage de la cathédrale par des fidèles qui les mirent à l’abri. Une autre partie fut détruite par les révolutionnaires et c’est encore de l’église de Tours que Quimper reçut une relique de son saint patron. Il y a cinq ans, une partie des reliques ont été volée. Une autre partie se trouve également à l’abbaye de Boquen, où elle fut ramenée avec d’autres par Dom Alexis Presse depuis l’église saint Jacques du Haut-Pas à Paris. Le culte de Corentin se développa surtout en Cornouaille, et de là vers l’intérieur des terres. Il est au contraire mal connu dans les anciens diocèses de Léon et de Tréguier. Son nom est cité dans les litanies anglaises du VIIe siècle mises à jour par dom Mabillon.

Bien que considéré comme fondateur, Corentin n’est pas le premier évêque de Cornouaille. La région avait connu une première évangélisation par l’intermédiaire des moines et évêques de Nantes dès le IVe siècle. La tradition du sacre de Corentin par Martin de Tours veut peut-être simplement signifier cette filiation avec la métropole tourangelle et les origines gallo-romaines du diocèse. Les recherches archéologiques menées à Locmaria, faubourg de Quimper mais premier emplacement de la ville à l’époque gallo-romaine, tendent à confirmer cette interprétation. La future Cornouaille semble aussi avoir été habité au IVe et Ve siècle par le peuple des Curiosolitae, originaires des environs de Dinan. Leur capitale avait rang de civitas, ces villes principales de l’empire, pourvues d’un grand-prêtre de la religion officielle. Après Constantin, les civitas sont souvent devenues villes épiscopales, et il est possible que Locmaria ait alors connu un premier évêché, ce que tendrait à montrer l’utilisation du titre d’évêque des Curisopites, branche des Curiosolitae. Il y aurait donc eu une seconde fondation épiscopale, due aux efforts de Gradlon et Corentin. La suprématie de l’actuel Quimper sur Locmaria ne s’effectuera que progressivement à partir de la nouvelle cathédrale et a donc pour origine le culte rendu à saint Corentin. Il s’agit là avant tout de suppositions.

Une autre interprétation souligne la présence à Aquilonia, autre nom de Locmaria, d’un monastère-évêché celtique établi par des bretons sous autorité insulaire, dans une partie de l’Armorique où ils se trouvaient depuis le IIIe siècle. Son évêque-abbé aurait été totalement indépendant de l’autorité du siège de Tours. De cela, on trouve des témoignages tant par le fait qu’une chrétienté organisée s’y trouvait dès avant l’arrivée des saints fondateurs, que dans la liturgie elle-même, telle l’ancienne intronisation de l’évêque de Quimper qui commençait à Locmaria.

Il y aurait donc eu une seconde fondation que l’historien Le Duc situe vers la fin du VIIIe siècle, d’autres sources au VIe, lorsque le siège épiscopal d’Aquilonia-Locmaria fut déplacé à Quimper avec la première construction d’une cathédrale sous le roi Gradlon. Corentin fut alors le premier évêque d’un diocèse véritable s’étendant jusqu’à la limite orientale du territoire des Ossismes (Nord-ouest de la Bretagne), longtemps après que la première fondation se fût étiolée peu avant l’arrivée de saint Pol au début du VIe siècle. Cette interprétation a en outre le mérite de justifier la présence d’évêques bretons aux conciles contemporains de la fondation et les allusions à des pratiques manifestement insulaires sans que l’on connaisse par ailleurs la titulature exacte de ces évêques. De surcroît, nombre de saints vénérés comme d’anciens évêques de Cornouaille trouvent ici leur place.

Les émigrants venus du Kernow prirent le contrôle de cet évêché pour en faire le Kernow, tous deux dérivés du terme brittonique Cornobia, qui donna le français Cornouaille et l’anglais Cornwall. Au XIe siècle, le Cornwall avait encore son diocèse de Cornubia, où le culte de saint Corentin était répandu autour de la ville de Curriton, devenue aujourd’hui Curry. Dans le sud-est de la péninsule britannique, on trouvait aussi un Llan Querenthyn, devenu en anglais Lacrenton.

Quelle que soit l’interprétation retenue –gallo-romaine ou celtique–, des origines du diocèse de Cornouaille, on reconnaîtra son antiquité et sa longévité. Jusqu’à la Révolution, le diocèse, très vaste, s’étendait depuis la pointe de Pennmarc’h au confluent de l’Ellé (Kemper-Elle, Kemperlé), des crêtes des monts de l’Arre jusqu’aux rives du Gouet en Quintin, ce qui correspond peu ou prou à l’ancien territoire des Ossismes, moins le Léon et le Goelo. A la Révolution, les diocèses furent réorganisés en fonction des départements nouvellement crées. Dans le département du Finistère, il n’y avait pas place pour deux évêchés, et Quimper, en raison de son soutien aux mesures révolutionnaires fut choisi comme siège de l’évêché de Quimper et Léon, au détriment de saint Pol de Léon, siège d’une région traditionnellement plus pieuse et plus monarchiste.